Chapitre 2 — Le Club des Bandes dessinées

Les jeunes lecteurs des « comics » d’aujourd’hui ne peuvent imaginer ce que fut la grande période des bandes dessinées de l’avant-guerre.

— Pierre Strinati

Tout est parti des collectionneurs !

— Alain Van Passen

Dans la livraison de FICTION de juillet 1961, Alain, 20 ans, découvre la chronique littéraire de Pierre Strinati, 33 ans, sur les bandes dessinées de science-fiction parues dans les journaux MICKEY, ROBINSON, JUMBO, AVENTURES, HURRAH !.., L’AVENTUREUX, HOP-LÀ !, L’AS et JUNIOR entre 1934 et 1940. Ce genevois fortuné, négociant en textiles et spécialiste de la faune cavernicole[1], s’était replongé dans ses anciens illustrés suite à des échanges avec Pierre Versins[2]. Son recensement – bien que sans visuel – ravive auprès des trentenaires des souvenirs profondément enfouis et tient de l’incantatoire. Nombre de ces titres avaient été brutalement interrompus par la guerre et en l’absence de clôture, ces imaginaires étaient restés en suspens[3]: Guy L’Éclair et ses amis étaient, depuis deux décennies, gelés dans une grotte du Royaume de Frigie sur la planète Mongo. Les bandes lues après-guerre paraissent, pour Pierre Strinati, « décadentes, altérées, méconnaissables »[4]. Dès le numéro suivant, Jean-Claude Forest, 30 ans, illustrateur pour FICTION, surenchérit en ressassant d’autres bandes délirantes – toujours sans le moindre recours visuel – comme ce Saturne contre la Terre dessiné par Giovanni Scolari paru dans le JOURNAL DE TOTO où « Bruxelles est détruite pas une troupe de crapauds géants, tandis que dans le ciel de Londres, la R.A.F. livre un combat désespéré contre des aigles quatre fois plus gros que ses appareils » ou le Futuropolis illustré par René Pellos, apparu dans le gigantisme du format de JUNIOR[5], « dans un style disons…furieux ».  Né en 1941, Alain a l’impression d’avoir bel et bien raté le coche : « Les bandes étaient présentées avec un tel enthousiasme[6] que ça donnait envie ! Je veux en voir. Je veux les découvrir ! ».

 

Je serais tenté de dire qu’il est des « illustrés » comme des vins : il ne suffit pas de goûter aux meilleurs crus, encore faut-il
choisir les bonnes années.

— Jean-Claude Forest, dans FICTION N°93.

 

Après Strinati et Forest[7], c’est un professeur de physique et chimie d’Evreux, Guy-Claude Bonnemaison, 31 ans, qui écrit : « Y a-t-il des moyens d’enrayer la disparition de ces illustrés pendant qu’il en est encore temps ? J’avoue parcourir bien en vain les quartiers de bouquinistes lors de mes rares venues à Paris; je n’hésiterais pourtant pas à payer quelques dizaines de milliers d’anciens francs une collection complète de ROBINSON et de MICKEY. Offre pe–ut-être généreuse, peut-être trop modeste, je l’ignore – mais à qui m’adresser ? »[8] Ce qui a démarré dans le contexte de fiction spéculative menace de basculer en spéculation financière. Guy-Claude, au sein du même courrier, évoque l’idée d’une bédéthèque – à l’image de la cinémathèque ? –  où seraient réunis, via une cotisation, tous les illustrés. Mais il reconnaît que cela pénaliserait les lecteurs de province et fragiliserait le papier journal par les manipulations répétées. Il offre une alternative aux prêts ou achats : « la souscription ». En fédérant une quarantaine voir une centaine de personnes, quelques rééditions amateurs peuvent être envisagées. Alors que certains lecteurs exigent que ce soient l’ensemble du contenu de ces journaux qui soit remis sous presse et en circulation[9], l’équipe de FICTION tempère et lance, en janvier 1962, un référendum avec une pré-liste de douze titres réduite à quelques bandes vedettes, Guy l’Eclair et Luc Bradefer en tête. Sur la base des retours des lecteurs dépendra la naissance d’un Club des Bandes Dessinées[10]. Il s’agira d’une structure isolée des éditions OPTA car celles-ci semblent peu enclines à associer la bande dessinée à leurs productions littéraires de policiers et de science-fiction déjà disqualifiée de mineures[11].

Avec ce nouveau club de livres légalement acté, et sa promesse d’une future bibliothèque des classiques, Alain passe de l’attentisme à l’engagement : « J’adhère ! Je m’abonne ! ». Les statuts proposent trois classes de membres : le membre associé, adoubé par deux parrains, limité à 100 personnes « prioritaires », le membre correspondant, nombre illimité « servi après les membres associés » et le membre d’honneur qui bénéficie des activités du Club « dans toute la mesure du possible ». Fin octobre, Alain Van Passen reçoit la réponse d’Alain Dorémieux, 29 ans, rédacteur en chef de FICTION devenu l’agent de liaison du Club des Bandes Dessinées (ou CBD) : « Malheureusement, la loi française[12] ne nous permet pas de vous admettre en raison de votre nationalité, sinon en qualité de membre d’honneur ». Passé cette déconvenue, il assure au Belge qu’il recevra bien toutes leurs réalisations ainsi que leur bulletin de liaison : le GIFF-WIFF. C’est le nom, et le cri, d’un poisson amphibie qui marche sur ses nageoires et qui, à défaut d’avaler des perles, se contente de tapioca. L’analogie entre cet animal fantastique et le collectionneur fanatique semble à peine déguisée ! La mascotte est présentée par Jean-Claude Forest[13] comme un précurseur au « pilou-pilou » d’Elsie Segar (1936) et au « houba-houba » d’André Franquin (1952). Paul Winkler, 64 ans, qui avait lancé en France[14], via son agence Opera Mundi, la mode des suppléments du dimanche américains reconditionnés en journaux pour enfants, MICKEY (1934) puis ROBINSON (1936) et enfin HOP-LA ! (1937), suivait avec attention cet étonnant revival[15]. Calcul ou coïncidence, le Giff-Wiff présenté dans le 1er bulletin du Club en juillet 1962 réapparaît en août dans les pages du journal de MICKEY. Le passé se conjugue au présent.

 

Mes collègues me considéraient comme un farfelu ou un original!

— Alain Van Passen.

 

À 21 ans, Alain n’a toujours pas quitté l’école mais il y reçoit désormais un salaire. Après deux ans de régendat à l’institut Saint-Thomas, il est devenu professeur de Français-Histoire[16] à l’institut Saint-Stanislas, un établissement dirigé par un ancien professeur de Saint-Boniface[17]. D’emblée, il intègre la bande dessinée dans son approche pédagogique : chaque élève doit présenter une élocution de cinq minutes sur la bande dessinée de son choix. La consigne est de décrire le héros, physiquement et psychologiquement, ainsi que le dessin et le scénario. Les parents sont prompts à s’en plaindre : « Est-ce bien sérieux ? ». Alain s’y était préparé : « Quand votre fils ou votre fille doit faire une élocution sur un homme ou un roman célèbre… Vous l’aidez ? » Les parents: « Oui, bien sûr ! ». Alain peut ainsi poursuivre : « Et quand il travaille sur une bande dessinée ? » « Non, on n’y connaît rien ! » Le piège argumentaire se referme ainsi : « Vous voyez, c’est un  travail personnel à 100 % ! ».

 

Le public se compose essentiellement de jeunes 18 – 25 ans (…) qui lisent des ouvrages sur l’histoire du cinéma de plus en plus nombreux, (ils) entendent parler des films qu’ils n’ont jamais eu l’occasion de voir et pour eux le musée, c’est une occasion – je crois unique – de visualiser ce dont ils entendent parler depuis longtemps.

— Jacques Ledoux, interviewé par Jacques Goossens pour L’œil écoute (RTB) du 7 septembre 1962, à l’occasion de l’ouverture du Musée du Cinéma, l’organe public de la Cinémathèque Royale de Belgique.

 

Ses soirées, Alain les passe à la Cinémathèque Royale de Belgique, récemment rénovée: « J’y allais tous les jours. Parfois trois films en un soir ». Si Alain voyage peu, il circule énormément parmi les libraires et bouquinistes. C’est au bas de la Cinémathèque, au pied du Mont-des-Arts, dans le fond de la bouquinerie Book-Market, qu’Alain tombe nez-à-nez avec ses vieux journaux TARZAN. Le gardien du lieu, Gilbert Toussaint[18], 20 ans à l’ouverture de son magasin fin 1963, étant un peu collectionneur lui-même, lui demande de venir avec une monnaie d’échange du type : « un album Tintin en noir et blanc contre un grand album SPIROU ». Alain bouillonne, il refuse ce chantage à l’échange. Impatient, il veut payer comptant. Par une véritable « danse du scalp », il harcèle Gilbert qui lui cède enfin la pile d’illustrés. Après avoir « retrouvé ce que j’avais lu. », Alain achète d’autres publications qui dépassent les limites de sa nostalgie directe. Il se met à placer des petites annonces dans les revues et dépose ses listes de recherches aux libraires. Le jeune professeur a, de son propre aveu, attrapé « la collectionnite ».

 

L’addiction, à l’époque, on n’en parlait pas.

— Alain Van Passen.

 

… un cauchemar de luxe et des insomnies de qualité (…) un drame classique où la mythologie ségarienne rejoint la mythologie antique.

— Extraits du texte de souscription du CBD pour Popeye contre les harpies d’Elsie Segar reçu par Alain le 13 janvier 1964.

 

Les quelques amateurs qui ont pris en charge le Club des Bandes Dessinées, amorcent, par essais et erreurs, leurs premières publications. Pour les grandes pages en quadrichromie des suppléments du dimanche, ils optent pour des diapositives Kodak Ektachrome. Par l’action du projecteur, on change d’échelle, les vignettes muent en vitraux. En 23 diapositives[19] est enfin reproduit le séjour –  on pourrait presque dire les vacances –  de Flash Gordon en Frigie. Pour reproduire des grandes pages de Brick Bradford, des stencils « en noir » avec le système Electro-Rex sont glissés dans « une chemise cartonnée couleur paille ». Un clubiste zélé, Édouard François, 36 ans, professeur de Lettres, Pied-Noir muté à Châlon-sur-Marne, a même sorti sa boîte d’aquarelles et a enluminé lui-même ses copies noirs et blancs : « Si l’on n’obtient pas le “pointillisme” [20] de MICKEY et de ROBINSON, on s’en approche suffisamment pour retrouver ce monde que nous aimons et que nous avons dès lors l’impression de redécouvrir après l’avoir
recréé de nos mains 
». L’équipe en charge du Club des Bandes Dessinées n’est pas face à des enfants fébrilement axés sur le contenu mais à des bédébibliophiles soucieux du contenant. Ils essaient de contenter les plus exigeants à l’image de cette présentation d’un épisode de Luc Bradefer : « Le tirage, strictement limité à 300 exemplaires, sera effectué sur papier assez fort, de très belle qualité et dont la coloration gris perle, infiniment plus flatteuse que le blanc du couché, reçoit le trait avec souplesse, avec une netteté et une franchise dans les noirs qui, à notre connaissance, n’ont jamais été accordées à aucune bande dessinée. »[21] Bien que multiplié par leurs soins, l’ouvrage est d’emblée présenté comme une rareté « Il ne sera délivré qu’à un seul exemplaire à chaque adhérent. »

 

J’ai reçu ce jour Luc Bradefer et ai remarqué l’excellente qualité du papier.

— Gérard Schoenlaub, 30 ans, à Pierre Strinati, lettre du 18 février 1963.

 

Robert Van Passen décède abruptement en mai 1963. Alain, 22 ans, devient soutien de veuve et se voit exempté du service militaire obligatoire. En début de vacances scolaires d’été, Alain reçoit une invitation pour la première Assemblée Générale du Club des Bandes Dessinées, le 7 juillet à 10 h 45, à La Vieille Grille, place du puits de l’Ermite à Paris. Ce café-théâtre, conçu pour 50, voit converger près de 200 personnes[22]! Parmi ces grappes de visages enthousiastes, un œil averti pouvait distinguer Edgar Morin, Romano Calisi, René Goscinny[23], Roland Topor, Claude Beylie, Alain Resnais[24], Paul Lacroix, Pierre Couperie, Jean-Claude Forest, Pierre Pascal, Jean-Claude Romer, Michel Regnier (Greg), Claude Soulard, Remo Forlani… sous la présidence d’honneur de Paul Winkler. Ils sont nombreux à se croiser pour la première fois et à, ensemble, découvrir la personne à la tête du bédé-club, Francis Lacassin[25], Cévenol de 32 ans. Formé pour être inspecteur des impôts, il leur a préféré le cinéma où il s’active en conférencier de ciné-club, critique, cinéaste, producteur et historien. Il vient de faire une déclaration d’amour à Tarzan, « mythe triomphant et mythe humilié », qui compose l’ensemble du numéro de la revue BIZARRE[26]. Il profite de l’assemblée pour projeter, après La Jetée de Chris Marker[27], un extrait d’un film muet, Le fils de Tarzan, « dont le caractère désuet a déchaîné l’hilarité des uns à la grande irritation des autres »[28]. « Ensuite, comme chacun avait des petits trésors avec lui, ça a été une gigantesque bourse d’échange : “Et je te montre mon petit ROBINSON ; et je t’exhibe mon petit MICKEY. (…) Tout a débuté là ! »[29] précise le bruxellois André Leborgne, 35 ans, ouvrier-mécanicien « Chacun a pris des contacts avec ceux de son pays pour s’apercevoir qu’il n’était pas tout seul! ». Alain est resté chez lui.

 

 … se déplacer à Paris juste pour un repas ?!

— Alain Van Passen

Les gens cultivés ne lisaient pas de bande dessinée.

— Évelyne Sullerot, 39 ans, sociologue. Source : Et Tarzan entra dans les musées : comment la bande dessinée devint un art, d’Anaïs Kien et de Charlotte Roux, 1ère diffusion sur FRANCE CULTURE le 22 janvier 2008.

Si les dépositaires actuels de la science française avaient suivi dans leur enfance les aventures de Flash Gordon au lieu de subir BAYARD, LISETTE et PIERROT, peut-être notre pays serait-il en mesure de participer à la conquête spatiale.

— Francis Lacassin, l’Inquisition contre Tarzan, revue BIZARRE N°29/30, 1963.

J’ai découvert aux réunions annuelles que ces gens-là étaient vraiment des nostalgiques. Mais à un point qui frôlait quand même… Ça m’inquiétait beaucoup. Des gens, entre 30 et 40 ans, qui passaient des heures à discuter de la couleur du slip de Tarzan… Et savoir  si le costume du Fantôme du Bengale était bleu ou violet, c’était quand même un peu angoissant (…) Ce n’était pas du tout mon style.

— Claude Moliterni, 30 ans, documentaliste chez Hachette. Entretien inédit avec Cecil McKinley en 2005.

 

La plupart des membres du Club dirigé par Lacassin, nostalgiques des séries américaines des années trente, regardaient avec condescendance la production récente. Pour beaucoup, il s’agissait des lectures de leurs enfants; ils déploraient plus ou moins ouvertement que les Belges aient remplacé les Américains.

Pierre Pascal, 35 ans, restaurateur à Bordeaux, qui poursuit : « bien sûr, il ne faut pas généraliser et quelques vrais amateurs se distinguèrent vite ». Extrait de son ouvrage BD PASSION, éd.Dossiers d’Aquitaine, 1993. Pierre Pascal a tourné un film amateur de cette première assemblée générale de 1963. Le film a été projeté au Salon d’Angoulême en 1983.

 

Si j’étais en contact avec des auteurs, c’est que ces derniers étaient d’abord collectionneurs.

— Alain Van Passen.

 

Le samedi 16 novembre 1963, à 15 heures, la section belge du Club des Bandes Dessinées est réunie pour la première fois à la cafétéria de la Gare Centrale de Bruxelles. Ils sont rassemblés sur la base du fichier initié par FICTION reprenant les membres belges du club français[30]. Leur délégué, Pierre Vankeer, 32 ans, est un des administrateurs de la Société Nationale des Chemins de fer Belges. On est loin de la foule de Paris, ils sont une douzaine et occupent un coin de la salle. Un mélange atypique de collectionneurs, d’amateurs et de professionnels[31]. Parmi ceux-ci, il y a Michel Regnier, dit Greg, 32 ans, qui vient de relancer la série Zig et Puce d’Alain Saint-Ogan dans TINTIN et de transformer son Monsieur Poche en Achille Talon pour PILOTE[32]. Il y a aussi Maurice De Bevere, dit Morris, 40 ans. Son cow-boy Lucky-Luke rivalise avec le gaulois Astérix, tous deux scénarisés par René Goscinny. Fernand Cheneval, 35 ans, créateur des HÉROÏC-ALBUMS, est aussi là mais son visage n’est pas familier au groupe. Alain Van Passen semble surtout marqué par la présence de Jacques Van Herp, 42 ans, professeur de mathématique le jour et écrivain de science-fiction la nuit, contributeur à FICTION, « respect total ! On était content de l’avoir dans le club !». André Leborgne n’est pas venu les mains vides, il sort de sa mallette des fascicules des éditions Fratelli Spada reprenant, en italien, les bandes américaines de Mandrake et le Phantom. Ils provoquent un commun enthousiasme. C’est le frère d’un des membres, Gaston Lefèbvre, qui les a importés dans sa librairie, rue des Colonies, à deux pas du lieu de réunion[33]. Il importe également la version américaine, non retouchée, de PLAYBOY dans laquelle démarre la bande Little Annie Fanny d’Harvey Kurtzman et Bill Elder[34]. De ces premiers contacts, Morris et Vankeer vont proposer à SPIROU une rubrique historique, 9e art : musée de la bande dessinée[35]. Une démarche similaire sur l’Histoire du cinéma d’animation est aussi envisagée avec un autre membre belge du Club, Urbain Van Cauwenbergh, 42 ans[36]. Dans son rapport dans le GIFF-WIFF N°9, Francis Lacassin conclut que les Belges présents préfèrent – en majorité – séparer la bande dessinée de divertissement pour adultes de l’amusement pour enfants, qu’ils n’aiment pas trop les diapositives et qu’ils veulent plus de rééditions en noir et blanc.

 

La rubrique 9e art faisait rêver. J’y ai découvert ma première planche de Tintin au pays des Soviets dans SPIROU.

— Jean-François Muglioni, 15 ans, lycéen.

Que faudrait-il penser d’un éditeur qui, pour gagner de la place, couperait les dernières syllabes de certains vers de Corneille pour les reporter à la ligne, ou à la page suivante, ou qui les rallongerait pour garnir les marges ?[37]

— Alain Resnais, 42 ans, dans le GIFF-WIFF N°7.

 

Une génération d’intellectuels arrive à s’exprimer maintenant, qui, quand ils étaient petits garçons, ont lu beaucoup de bandes dessinées.

— Évelyne Sullerot interviewée dans L’enfant jaune ou la bande dessinée, émission de la RTBF le 21 août 1966.

 

Fort d’un parrainage prestigieux[38], le Club des Bandes Dessinées, via son président, Francis Lacassin, dénonce, par campagne de presse, la loi de 1949 et sa commission de surveillance[39]. Il milite également auprès des éditeurs professionnels pour un plus grand respect des œuvres rééditées. Le vice-président, Alain Resnais, possédait une collection d’anciens illustrés. Il avait conscience que les bandes étrangères n’étaient pas reproduites fidèlement. Déjà en 1937, à 16 ans, Alain Resnais avait été reçu à l’agence Opera Mundi par son directeur Paul Winkler et y avait eu confirmation que les bandes étaient bien d’origine américaine[40] et qu’elles étaient parfois conçues 3 à 5 fois plus grandes que la taille de publication. Le jeu des différences ne s’arrête pas là : certaines figures étaient redessinées afin de ne pas stimuler les censeurs tandis que d’autres cases étaient artificiellement prolongées pour convenir aux différents formats des publications européennes, sans parler du traitement des couleurs ! Cette infecte cuisine éditoriale, détaillée par Pierre Couperie dans le GIFF-WIFF n°8, outrage les membres du Club autant qu’elle les invite – spécialement pour les parts censurées – à une intégrale redécouverte. Un premier Salon International des Comics est annoncé à Bordighera en Italie pour 1965[41], l’occasion d’aller aux sources américaines de leur âge d’or européen. C’est le même Paul Winkler, toujours à la tête d’Opera Mundi, qui oriente Alain Resnais vers ses fournisseurs à New-York. Pour payer le billet d’avion du cinéaste, Francis Lacassin puise dans la caisse du Club.

 

Cet amour inconditionnel de n’importe quel bonhomme, de n’importe quel Mickey pourvu qu’il parle ballon, c’est louche, non ? Ne sommes-nous vraiment qu’une bande de mal vieillis qui n’en finissent pas de pleurer leurs onze ans ?

— Remo Forlani, 34 ans.

Au retour d’Alain Resnais des États-Unis[42], Remo Forlani, fort en gueule, démissionne de son poste de rédacteur en chef du GIFF-WIFF. Auteur, en mai 1961, d’une chronique historique sur la bande dessinée dans PILOTE[43], il fustige le regard nostalgiste, voir régressiste, des « joyeux boy-scouts du C.B.D. »[44], les qualifiant tantôt d’« Anciens du Chemin des Dames », de « gang de célibataires » ou encore de « mal mariés » ! « La tête sur le billot, je maintiendrai que Peyo et Franquin et même le pourtant pas très drôle Jijé ont plus de talent que la plupart de ces vieux maîtres made-in-usa dont les membres du Club font leurs délices[45] ». Forlani prépare un nouveau grand illustré français, CHOUCHOU[46], prévu pour octobre ou novembre 1964. C’est une refonte moderne des grands suppléments du dimanche américains sans le moindre rédactionnel[47]. La direction artistique est confiée à Jean-Claude Forest qui, en plus de bandes américaines contemporaines comme Dick Tracy et Peanuts, contacte de nombreux dessinateurs français gravitant autour de l’Atelier 63 de la rue des Pyramides : Poïvet, Gillon, Gigi, Mouminoux et Novi. Pierre Versins contribue au journal en proposant l’idée qui deviendra les Naufragés du Temps et Lob, proche de Forest, scénarise Ténébrax pour Pichard. Ils ont l’appui financier de l’éditeur de SALUT LES COPAINS, Daniel Filipacchi, 36 ans, de l’éditeur du journal PILOTE et du TINTIN français, Georges Dargaud, 53 ans, et de l’éditeur de FRANCE-SOIR, Pierre Lazareff, 57 ans et les presses de Cino Del Duca, 65 ans. Malgré l’acide mordant de ses propos, Remo Forlani reste en excellents termes avec Francis Lacassin et garde sa place au Club. L’équipe du GIFF-WIFF applaudit la naissance de ce nouvel illustré dont il a  – en final – été un des catalyseurs. La Fronde va venir d’ailleurs.

 

Il faudrait, non pas continuer des bandes anciennes jusqu’à l’usure complète, mais trouver de nouveaux dessinateurs et lancer de nouvelles bandes qui seraient l’équivalent de ce que furent Guy l’Éclair et autres.

— Jean-Claude Forest intervenant à l’Assemblée Générale du Club, juin 1964.

Quel été, cet été 1964 ! Tout entier consacré à la révolution d’octobre ! (CHOUCHOU… grand format, tout couleur!)

— Jean-Claude Forest, carte postale envoyée à Pierre Strinati, le 7 septembre 1964.

 

 

¶ Texte de Philippe Capart

Notes

[1]il se présente à Guy Bonnemaison comme « Propriétaire de grands magasins et licencié ès sciences naturelles et passionné de photographie », lettre du 6 octobre 1961. Pierre Strinati, épris de biospéologie, préparait également un doctorat en zoologie.

[2]Pierre Versins, 38 ans, rédigeait un fanzine dédié au fantastique : AILLEURS. Il avait emprunté à Pierre Strinati sa collection de ROBINSON et de JOURNAL DE MICKEY pour répertorier les romans de Frank Sauvage signés Guy d’Antin (Article, Frank Sauvage ou Doc Savage ? paru dans AILLEURS N°7, février 1958). Un ami d’enfance de Pierre Strinati, Demètre Ioakimidis, 32 ans, avait également découvert la science-fiction par le journal ROBINSON. Versins, Ioakimidis et Strinati alimentaient régulièrement la revue FICTION. En 1961, Versins préparait un bulletin d’AILLEURS sur les comics. Le seul livre ressource pour l’article de Strinati était The Comics de Caulton Waugh paru en 1947.

[3]le restaurateur se souvient du client qui n’a pas payé. De la même manière, en l’absence de conclusion, le lecteur se souvient du récit inachevé. « Les fanatiques ont été créés par ce choc » précise Pierre Vankeer (source : interview du 26 juillet 2011).

[4]ce sont les trois termes posés sur le brouillon de son article, non daté.

[5]ce qui rendait impossible la mise en commerce d’albums reliés. Jean-Claude Forest a pu emprunter à l’éditeur même les exemplaires de JUNIOR, « les collectionneurs prêtent rarement » (source : lettre de Forest à Strinati du 15 août 1961).

[6]ou « une telle nostalgie », terme qui est communément associé à une tristesse ou mélancolie mais qui peut tenir d’un enthousiasme pour d’anciennes prouesses ou réalisations. L’action même de lire, c’est mettre le passé au présent.

[7]les deux hommes échangent suite aux articles : 15 août 1961, Forest écrit : « Sans doute conviendrait-il de faire un bilan dans ce qui, dans cette forme de « littérature » – comme disent particulièrement ses détracteurs – est réellement intéressant de ce qui l’est moins. Ce serait aussi l’occasion d’affirmer, je pense que vous serez de mon avis, que pour n’en jamais avoir donné réellement d’exemple, la bande dessinée, en son principe, n’exclut pas l’apparition, dans l’avenir, d’œuvres d’un niveau littéraire et graphique élevé ». Forest évoque aussi le Futuropolis de Pellos paru dans JUNIOR que Strinati ne connaît pas et qu’il va lui photocopier. Strinati répond le 29 août 1961: « Je connais vos dessins pour les couvertures de FICTION et par les volumes du RAYON FANTASTIQUE. Je tiens à vous dire que j’apprécie beaucoup le style original de ceux-ci ; j’espère que vous aurez un jour l’occasion de publier des bandes dessinées ». Source : à la rencontre de Pierre Strinati, article de Cuno Affolter et Frédéric Sardet, dans la revue annuelle BÉDÉPHILE n°1, 2015. Le premier chapitre de Barbarella paraîtra moins d’un an plus tard, le 7 juin 1962, dans V-MAGAZINE.

[8]lettre du Bonnemaison à Strinati, du 15 juillet 1961.

[9]début 1970, les éditions Nerbini rééditent des journaux illustrés avec l’ensemble du contenu sous le qualificatif « anastaticamente » ou résurrection. Les clubs italiens n’ont pas attendus le réveil des clubs francophones pour revaloriser les bandes parues en Italie dans les années 30.

[10]comme il existait alors de nombreux clubs du livre inspirés, à la Libération, des book sales clubs nord-américains. L’éditeur de FICTION, HITCHCOCK MAGAZINE et MYSTÈRE-MAGAZINE, Maurice Renault, 61 ans, avait lancé, en 1957, le Club du Livre Policier.

[11]en 1960, SATELLITE, une revue concurrente de FICTION, avait tenté une ligne de publications mélangeant nouvelles et bandes dessinées, SATELLITE-IMAGES, mais en précisant bien « pour les petits ». Elle plie après quatre numéros.

[12]association à caractère non lucratif, loi du 1er juillet 1901.

[13]en octobre 1952, Jean-Claude Forest avait créé Copyright dans le journal VAILLANT. Un animal fantastique voisin du Marsupilami d’André Franquin apparu en janvier 1952. Au lieu de crier « HOUBA, HOUBA ! » Copyright faisait « VARLOP, VARLOP ! ». En 1956, à la demande de la rédaction de VAILLANT, Ramón Monzón créé un autre animal fantastique éructant : « GROUP GROUP !»

[14]Paul Winkler reprend une formule déjà en place en Italie depuis 1932 : le journal TOPOLINO de Victor Civita. Il est aussi, comme Cino Del Duca avec INTIMITÉ, éditeur d’une presse adressé aux femmes : CONFIDENCES.

[15]Winkler était attaché financièrement au groupe Hachette qui proposait certaines bandes en albums mais en leur ôtant les phylactères et en glissant les textes sous les images. « Les réalisateurs de fanzines paient-ils des droits » se demandait Guy Bonnemaison dans un courrier à Pierre Strinati daté du 1er octobre 1961. Strinati, Versins, Ioakimidis et Forest encouragent le Club naissant à contacter Winkler avant toute réédition afin de se prémunir de tous soucis juridiques. Depuis les années 30, Paul Winkler était plutôt habitué aux attaques qu’aux éloges.

[16]lors de son régendat, il avait opté pour le latin. Alain a aussi enseigné le grec et la géographie.

[17]l’abbé, puis chanoine, Albert Proost. Célèbre pour avoir, quelques années plus tôt, donné de mauvais points en dessin à Hergé.

[18]l’oncle de Gilbert, Philippe-Édouard Toussaint, tenait depuis 1949, la Galerie St-Laurent au 42, rue Duquesnoy. Le lieu accueillait tous les amateurs d’images, artistes et bibliophiles. D’après son neveu, Philippe-Édouard était un pionnier dans la vente de bandes dessinées de collection et un fan des Pieds-Nickelés de Forton. Il va déménager au Mont des Arts où il continuera, dans les années 70, à proposer des bandes dessinées d’occasion.

[19]grâce à un professionnel, Jean Rousse, lié aux laboratoires photographiques de Joinville-le-Pont.

[20]il évoque l’imitation des trames mécaniques qui, par des points ou des lignes, rendent les nuances de gris ou de couleurs. Autant au bureau de dessin des éditions Dupuis qu’à celui des éditions Vaillant, des jeunes auteurs pensaient naivement que ces points étaient tracés à la main à la manière des peintres impressionnistes. Ces trames mécaniques sont mises en exergue par les peintures de Roy Lichtenstein.

[21]annonce reçue par Alain Van Passen le 19 novembre 1962.

[22]ce rassemblement de personnalités n’a été possible que par l’activité continue de librairies où se mélange gens et genres. Des carrefours culturels qui oscillent entre le salon littéraire, la maison d’édition et le kiosque comme Le Minotaure (siège officiel des débuts du Club des Bandes Dessinées), L’Atome, Le Terrain Vague, La Mandragore, Le Pont Traversé, La Sphère ou La Librairie du Palimugre. Pierre Strinati à l’auteur : « Tous les gens que j’ai connu à Paris, c’est par les librairies. »

[23]René Goscinny, 37 ans, était connu pour Astérix, mais n’était pas encore le rédacteur en chef de PILOTE. Il le devient, avec Jean-Michel Charlier, 39 ans, en septembre 1963.

[24]en 1956, Alain Resnais et Remo Forlani, avec la complicité de Chris Marker, avaient introduit des illustrés, dont Mandrake et Dick Tracy, au cœur de la Bibliothèque Nationale dans le cadre du court-métrage Toute la mémoire du monde avec ce commentaire : « Qui sait ce qui demain, témoignera le plus sûrement de notre civilisation ? ».

[25]Dorémieux annonce à Strinati, le 23 mars 1962, que Francis Lacassin a pris en main « l’organisation de la période transitoire » du Club. Sur base des lettres reçues, Lacassin a réunis quelques correspondants qui, pour des raisons pratiques, résidaient à Paris. Les statuts étaient prêts mais la présidence encore vacante. Alain Resnais et Chris Marker avaient d’abord été pressentis.

[26]numéro 29-30, 2ème trimestre 1963. La revue BIZARRE a démarré en 1953 chez Éric Losfeld et s’est poursuivie en 1955 chez Jean-Jacques Pauvert.

[27]  court-métrage de science-fiction, qualifié par le réalisateur de roman-photo, reposant sur une articulation de fixes photographiques, une production Janus, 1962. Il reçoit le prix GIFF-WIFF car le film rend « hommage à l’esprit, à la cause ou à la technique de la bande dessinée ». Le rôle d’un des laborantins en charge du voyage temporel est joué par le conservateur de la Cinémathèque Royale de Belgique, Jacques Ledoux.

[28]Compte-rendu de Guy Bonnemaison à Pierre Strinati, lettre du 29 juillet 1963.

[29]Interviewé par Benoît Houbart, le 30 janvier 1992. Source : Rêve-en-bulles N°3 de septembre 1992

[30]un an plus tôt, au 16 octobre 1962, sur les 256 membres du Club, 19 étaient étrangers, et parmi ceux-ci, 9 étaient belges. Sur les membres français, 58 % étaient parisiens et 95 % des membres étaient masculins, majoritairement de professions libérales. Ce sont les résultats de l’enquête du Club synthétisé par Pierre Couperie dans son article Sociologie du Club des Bandes Dessinées dans le GIFF-WIFF N°3-4. Sa seconde enquête est datée du 1er septembre 1964 : sur les 400 membres, 31 étaient belges dont 20 étaient bruxellois. Article composition et comportement du Club de Pierre Couperie dans le GIFF-WIFF N°11.

[31]peut-être ces auteurs avaient-ils imaginé, dans un premier temps, se rendre à une réunion de type corporative ou syndicale?

[32]il a également créé un personnage Gibus inspiré du Mandrake de Lee Falk et Phil Davis pour le studio BELVISION, dont le pilote sera finalisé par Ray Goossens en décembre 1964.

[33]le libraire avait un réseau de pilotes de la Sabena pour importer les magazines PENTHOUSE et PLAYBOY non retouchés.

[34]PLAYBOY peut être comparé, à cet égard, au V-MAGAZINE français. Un journal qui intègre DINGUE, une section inspirée du MAD, dès juin 1963. Avec la collaboration de Claude Moliterni (Eric Cartier), Maurice C. Horn et Claude Le Gallo. Le rédacteur en chef de V-MAGAZINE est Georges-Hilaire Gallet, 61 ans. Il était fan des pulp magazines et en charge depuis 1951, de la collection d’anticipation, Le Rayon Fantastique, chez Hachette. Un autre projet de magazine satirique du genre MAD avait été envisagé par des auteurs belges, dont Joseph et Benoît Gillain, en lien avec l’agence REAL PRESSE, composée de Morris, Will, Franquin, Peyo, Roba et Tillieux (source lettre de la REAL PRESSE du 8 mars 1963).

[35]ce musée de papier s’ouvrira le 17 décembre 1964 dans SPIROU. Claude Beylie, 32 ans, critique cinéma et membre du CBD, avait précédemment mis sous presse le terme
9e art, en mars, dans une suite d’articles, La Bande Dessinée est-elle un art ? dans la revue LETTRES ET MÉDECINS. Le terme sera repris, tel un étendard, par Francis Lacassin dans Pour un 9e art : La Bande Dessinée, coll 10/18, 1971.

[36]le cinéma d’animation, comme le cartoon de presse, connaît une valorisation plus précoce que la bande dessinée. Dès 1947, Bordighera accueille annuellement un Salone dell’Umorismo incluant dessins de presse et dessins animés. En 1956 ont lieu les 1ères journées internationales du cinéma d’Animation à Cannes et, en 1960, s’ouvre les journées internationales du film d’Animation d’Annecy dont les langues officielles sont l’anglais, le français et le russe. Urbain Van Cauwenbergh réunissait de nombreux documents en vue d’un ouvrage sur le cinéma d’animation à travers le monde. Ses archives ont été déposées au centre de documentation de l’ASBL Folioscope, les organisateurs du festival Anima à Bruxelles.

[37]selon les différents marchés, les bandes étaient reformatées. Des créations conçues pour de grands formats de presse se sont retrouvées hachées pour tenir dans des formats plus réduits. Pour des lecteurs ayant découvert les dessins dans la presse de grand format, il était difficile de supporter ces changements. Les éditions des Remparts, liées aux éditions Spada, qui publiaient ainsi Mandrake et le fantôme, étaient dans leur ligne de mire. Pour plus d’informations sur les formats : Les Patrons de la Bande Dessinée, LA CRYPTE TONIQUE N°13.

[38]le comité de parrainage officiel du CBD en décembre 1964: Jean Adhémar (conservateur en chef du cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale), Federico Fellini (cinéaste), Edgar Morin (du Centre d’Études de Communication de Masse), François Le Lionnais (président de l’Association des écrivains scientifiques), Pierre Lazareff (directeur de FRANCE-SOIR), Jean Chapelle (président du Syndicat National des Publications destinées à la Jeunesse). Source : le GIFF-WIFF N°12.

[39]un peu partout en Occident, du début de 20ième aux années 50, ce sont les détracteurs de la bande dessinée qui sont les premiers à l’analyser, la montrer et la médiatiser. Censure et encensement sont étrangement liés. Voir article de Sylvain Lesage, Les censeurs, premiers critiques de bande dessinée, REVUE DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE, n° 60, 2020.

[40]pour un enfant, Guy L’éclair, Mathurin ou Luc Bradefer ne peuvent être que français.

[41]contrairement à la France, l’intérêt pour les bandes dessinées était déjà assez développé en Italie. En janvier 1962, Umberto Eco, vient avec ses comic books au colloque Demitizzazione e immagine organisé par Enrico Castelli au Centre International des études Humanistes à Rome et y lit son texte Le Mythe de Superman devant un parterre d’érudits dont le philosophe Paul Ricœur, le mythologue Karl Kerenyi et des iconologues comme Robert Klein et Eugenio Battisti.

[42]Alain Resnais est aux États-Unis du 8 au 29 juin 1964. Il soumet l’idée d’un film, The Hidden Empire, traitant des comics en collaboration avec Francis Lacassin. Resnais le soumet à Al Brodax, de la King Feature Film and Television, qui semble mal comprendre le projet, et il en parlera encore à la presse italienne lors du salon de Bordighera en février 1965. Resnais, comme Clouzot, aimerait adapter Mandrake au cinéma (source : L’EXPRESS du 8-14, février 1965).

[43]le Roman Vrai des Bandes Dessinées, dont la première livraison est proposée dans le PILOTE du 10 mai 1961.

[44]extrait du post-scriptum de Remo Forlani, 14 juillet 1964 dans le GIFF-WIFF N°10, juin 1964. Il existait divers clubs attachés aux illustrés pour enfants comme les Amis de Spirou, le Club Tintin, le Club Junior et le très ancien Club Mickey dont les divers codes de conduite, comme « droit et adroit » ressemblaient aux lois scoutes de Baden Powell. Un correspondant suisse, Sandroz, avait proposé ce thème pour le GIFF-WIFF mais « personne, ici, n’est inspiré par le ce sujet » répond Pierre Couperie à Pierre Strinati, non daté, 1963.

[45]Remo Forlani est en contact avec Hergé, il a co-scénarisé deux films de Tintin (avec René Goscinny et Michel Greg en gag men). Son attitude a peut-être été influencée par ses échanges avec l’auteur belge qui, encore en 1966 et bien que connaissant l’existence du Club des Bandes Dessinées depuis novembre 1962 (voir son courrier dans le GIFF-WIFF 5-6 d’avril-mai 1963), se montre surpris de l’appellation 9e art attribué à la bande dessinée.

[46]le personnage Chouchou était une création de Philippe Fix et animait le journal de Filipacchi SALUT LES COPAINS. Il a également un strip dans FRANCE-SOIR dès octobre 1964. Fix propose à René Goscinny de prendre la direction du journal qu’il imaginait du type SPIROU mais pour un lectorat plus âgé. Goscinny étant trop occupé, c’est Forest qui va aiguiller Fix vers Remo Forlani.

[47]il avait été pensé pour pouvoir être inséré dans différents journaux dont FRANCE-SOIR. Une idée qui avait déjà été amorcée par Edifrance en 1956 avec LE SUPPLÉMENT ILLUSTRÉ qui réunissait des auteurs belges et français dont Jijé et Goscinny. On retrouve la même idée avec L’ILLUSTRE DU DIMANCHE qui démarre en janvier 1967 et vivra le temps de 24 numéros.